« Il Trace le Cercle »

par Mélissa Seims

 version française Tof

 

 

 

En août 1959, Gerald Gardner a reçu une lettre de Carl Weschcke, propriétaire et président de la maison d’édition occulte américaine, Llewellyn. Carl, ayant lu les livres de Gardner, lui a écrit pour lui demander s’il avait entendu parler du « berceau des sorcières » dont parlait William Seabrook dans son livre «Witchcraft, Its Power and Influence Today ». Le « berceau des sorcières » était un cage suspendue censée augmenter la sensibilité psychique par l’utilisation de la contrainte combinée à un mouvement de balancement monotone. Gardner a répondu qu’il n’avait jamais vu un tel objet ni entendu parler de son utilisation par des sorcières et a précisé : « J’ai posé la question à de nombreuses sorcières plus âgées et aucune n’en a jamais entendu parler. » Après que quelques autres lettres aient été échangées, Gardner a mis Carl en contact avec d’autres personnes dont Margaret Bruce et Charles Clark pour d’autres échanges.

 

Carl a écrit la première fois à Charles en 1961, ce fut le début d’une correspondance qui dura environ 20 ans. Dans une lettre de 1968, Charles a dit à Carl qu’il avait « quelques copies des rituels du défunt G.B. Gardner qu’il m’a envoyées (à Charles) pour que je lui donne mon avis de temps à autre » et il demandait si Carl serait intéressé par ces textes. Quand Gardner était toujours en vie, Charles et lui avaient discuté la publication de textes et Gerald avait convenu que cela pouvait aider les gens à mieux à comprendre la Sorcellerie et ce qui tournait autour. Ainsi, Charles a envoyé ces documents à Carl en avril 1969. Des extraits en furent publiés dans Gnostica le magazine de Llewellyn, mais on a vraiment commencé à parler de ces textes quand Aidan Kelly en a obtenu des photocopies et en a parlé dans son livre « Crafting The Art of Magic », où on a parlé pour la première fois des « Weschcke Documents ».

 

Les « Weschcke Documents » sont un recueil de feuilles se composant de 38 pages dactylographiées de textes rituels « Gardneriens » dont les huit Sabbats, « Les 8 Chemins », les trois degrés, les consécrations, diverses versions de La Charge et la Corne Amalthéenne, ainsi qu’une copie de « Le Chant des Sorcières » (que beaucoup connaissent maintenant sous le nom de « La Rune des Sorcières). Sur beaucoup de ces documents il y a aussi des annotations manuscrites, qui semblent être dans la plupart des cas de la main de Gerald Gardner. Pendant les années 50, des documents comme ceux-ci furent parfois envoyés à de nouveaux initiés pour qu’ils les copient dans leur propre Livre des Ombres.

 

Ceux d’entre vous qui ont déjà vu l’écriture de Gerald savent qu’il était un « griffonneur » et qu’il semble avoir eut une orthographe défaillante. Aidan Kelly suggère qu’il était partiellement dyslexique, Philip Heselton pense que le mauvais anglais de Gardner et sa manière d’écrire en phonétique étaient une conséquence de son manque d’éducation scolaire et Ronald Hutton a suggéré que « l’orthographe aberrante » de Gardner était une tentative de sa part pour faire sembler ces textes plus anciens. Je pense personnellement que cette dernière explication est peu probable car Gardner a les mêmes problèmes dans sa correspondance personnelle.

 

Ces documents dactylographiés, comme ils sont bien sûr faciles à lire, montrent aussi combien son orthographe était mauvaise. Encore une autre habitude de Gardner (à une époque d’avant les texto) il avait tendance à abréger certains mots. Par exemple, il mettrait parfois « wd » pour « would » et « shd » au lieu de « should ». Il avait aussi l’habitude d’utiliser un l minuscule à la place d’un I majuscule et on retrouve même parfois un L à la place d’un I, et il arrive aussi régulièrement de trouver un mélange des deux dans le même document. Comme avec tant de choses liées à Gardner, il n’était jamais totalement régulier dans son manque de rigueur, quelque chose qui doit être particulièrement frustrant pour les historiens de la Sorcellerie !

 

Parmi les divers documents, je pense qu’il en est un qui est des plus intéressants, celui qui est intitulé « Tous sont Purifiés » (sous-titré « Cérémonie pour pratiquer avec d’autres »). C’est surtout une façon de tracer le cercle qui commence avec une conjuration de l’épée. Si nous lisons le passage suivant, tiré de « Witchcraft Today » le livre de 1954 de Gardner, je pense que nous pouvons voir d’où peut venir ce titre assez original: « Lorsqu’il est tracé, ce cercle est soigneusement purifié, de même que le sont également tous ceux qui célèbrent les rites. Les sorcières attachent une grande importance à cela, car dans le cercle se trouve le domaine des dieux ».

 

TOUS SONT PURIFIES

 

Le Mage consacre le sel et l’eau.

 

La Grande Prêtresse s’agenouille devant l’autel, prend l’Epée, dit, « Je te conjure, O Epée d’Acier, afin que tu me serves de protection dans toutes les Opérations Magiques. Protège-moi à tout instant contre mes ennemis, visibles et invisibles. Accorde-moi d’obtenir ce que je désire en toutes choses où je pourrai T’employer. Ainsi je Te bénis et T’invoque aux noms D’Aradia et de Cernunnos. » Elle donne l’Epée au Mage.

 

Le Mage à genoux tend le récipient d’Eau consacrée et l’Aspergillum. Il Trace le Cercle, trois cercles, sur les lignes déjà marquées, commençant à l’Est et continuant jusqu’à l’Est. La Grande Prêtresse suit, aspergeant le Cercle (l’aspergeant pour le purifier) et tous les présents et finalement elle-même. Elle refait le tour du Cercle et l’encense. (Chacun dans le cercle doit être aspergé et encensé.) Elle rend le récipient, etc., au Mage, qui les pose sur l’autel ou à un endroit commode et lui donne son Epée [écrit à la main].

 

Elle marche lentement en cercle, en disant, « Je Te conjure, O Cercle d’Espace, sois une Frontière et une Protection et un lieu de rencontre entre le monde des Hommes et celui des Redoutables Seigneurs des ESPACES EXTERIEURS, afin que Tu sois nettoyé, Purifié et renforcé pour être un Gardien et une Protection qui préserveront et contiendront CE POUVOIR que nous désirons très sincèrement créer dans tes limites cette nuit, ainsi je te bénis et te supplie de m’aider dans cette tâche, aux noms d’Aradia et de Cernunnos.» Elle rend l’épée au Mage Epée [écrit à la main].

 

Le Mage convoque les Puissants comme d’habitude.

 

La Grande Prêtresse se tient devant l’Autel (qui peut être reculé pour cela). La Grande Prêtresse prend la position de la Déesse (bras croisés). Le Mage s’agenouille devant elle, trace un pentacle sur son corps avec la Baguette à tête de Phallus, Invoque (Fait descendre la Lune), « Je T’invoque et T’implore, O puissante MERE de toute vie et de fertilité. « Par la graine et la racine, par la tige et le bourgeon, par la feuille, la fleur et le fruit, par la Vie et l’Amour, je T’invoque, descends dans le corps de ta servante et Grande Prêtresse (la nommer). » (La Lune étant descendue c.-à-d. que le lien est établi, le Mage et les hommes donnent le quintuple baiser, tous les autres s’inclinent.)

 

GPs dans la Position de la Déesse dit les Bras Croisés : 

Moi la Mère, Sombre et Divine,

A moi l’Escourge et Mien le Baiser,

L’étoile à Cinq Branches d’Amour et de Bonheur,

Je te charge de ce signe,     (Elle écarte les bras en position de Pentacle)

 

Inclinez vous devant mon Esprit Lumineux      (Tous s’inclinent)

Aphridite Airanrod ;

Amante du Dieu Cornu

Reine de Sorcellerie et de la Nuit

Je pense que l’usage du mot « Mage » par opposition à l’utilisation de « GP », l’usage de l’expression « Redoutables Seigneurs des Espaces Extérieurs », le fait d’inclure la conjuration de l’épée et le cercle étant tracé trois fois, sont d’intéressants « marqueurs ». Une terminologie identique et des pratiques similaires peuvent être retrouvées dans High Magics Aid le roman de Gardner datant de 1949 ainsi que dans Ye Bok of Ye Art Magical (le BAM), qu’on suppose être le plus ancien Livre des Ombres « Gardnerien ». Ye Bok est actuellement la propriété de Richard et Tamarra James de la « Wiccan Church of Canada » et on dit généralement qu’il a été compilé et écrit par Gardner, pendant les années 40. Dans ce cas précis, l’écriture de Gardner est vraiment tout à fait lisible et même élégante, une écriture qu’il semble avoir réservée à ses écrits magiques. YE Bok contient plusieurs parties qui sont aisément identifiables comme étant typiquement des textes de Livre des Ombres, ainsi que de pastiches de rituels et de notes sur la Magie Cérémonielle. Il y a, par exemple, des pages de sigils recopiés des Clavicules de Salomon (dans la traduction de S.L. « MacGregor » Mathers), ainsi que des passages tirés des écrits d’Aleister Crowley et de Rites Franc-Maçons, pour n’en citer que certains. De même, High Magic’s Aid est aussi un mélange identifiable de textes « Gardneriens » avec de gros emprunts à la « haute magie ». W.E. Liddell a affirmé : « Gardner fut présenté à une loge sorcière en 1941 par un ami de la New Forest et confronté à une organisation quasi-Maçonnique qui combinait la magie cérémonielle, la Franc-maçonnerie, le Paganisme et la Sorcellerie. Le passage dans cette loge a renforcé pour lui la mise en avant du Dieu et du Mage. »

Alors que ce scénario semble s’adapter aux faits, je pense que ce n’est qu’une des explications possibles quant à la plus grande mise en avant de la magie cérémonielle dans Ye Bok en comparaison aux textes que Gardner a distribués aux initiés dans les années 50.

 

Dans YE Bok les mots « Mage » « Maître » ou simplement « M », sont fréquemment utilisés pour désigner le rôle de l’homme. Mais, en gros dix ans plus tard, dans les écrits magiques de  Gardner des années 50, ces mots sont généralement remplacés par « GP ». Dans ces derniers textes le cercle n’est tracé qu’une seule fois et non trois fois puis aspergé et encensé. En plus, la phrase « Redoutables Seigneurs des Espaces Extérieurs » peut être trouvée « cachée » dans High Magic’s Aid: « Les yeux bandés et abandonné il se tient dans la Triangle, à l’extérieur, et privé du Cercle Protecteur, entre le monde plaisant de l’homme et celui des Redoutables Seigneurs des Espaces Extérieurs. » Dans les conjurations postérieures du cercle on retrouve généralement l’expression « … Royaumes des Puissants » à la place. A la fin des années 1950, la conjuration de l’Epée n’apparaît généralement plus lors du traçage du cercle, même si un passage semblable est habituellement utilisé pour en consacrer une. La lecture de ce document me fait me demander si, quand Gardner parle de tracer le cercle avec une épée ou un athamé « dûment consacré », il pensait peut-être que cette consécration soit faite à chaque fois. Ce serait tout à fait compréhensible en raison de son amour pour les épées et les armes.

 

De façon générale, j’ai l’impression que l’utilisation de certaines expressions, la conjuration de l’épée et le fait de tracer trois fois le cercle, est plus en accord avec les pratiques les plus anciennes de Gardner. A cause de ces similitudes, je pense donc que le document « Tous Sont Purifiés » est un des textes les plus anciens dans la collection Weschcke. Mais, le fait qu’il s’achève avec « La Charge » le quatrain en vers écrit par Doreen Valiente, montre qu’il doit dater d’après 1953, après que Doreen ait été initiée. Charles lui-même a été initié environ un an après et ainsi je pense que ce document date probablement de cette période.

 

« Tous Sont Purifiés » est intéressant non seulement pour les indices qu’il nous donne pour le dater, mais aussi parce qu’il montre plus une égalité, qu’une mise en avant du Mage vis-à-vis de la Grande Prêtresse. C’est lui qui le premier « trace le cercle et il semble être seul responsable de la consécration du sel et de l’eau et de convoquer les Puissants. Il est assez intéressant de voir que le rituel d’initiation du premier degré qui est donné dans Ye Bok semble indiquer que le Mage initie un « Prêtre et Sorcière ». Mais, la copie de ce rituel que Gardner a dactylographié plusieurs années plus tard (très certainement à partir de Ye Bok) pour donner à Doreen Valiente, a été modifié de sorte que le Mage initie maintenant une Prêtresse et Sorcière.

 

Après réflexion, je pense que le document « Tous Sont Purifiés » peut aussi nous dire quelque chose sur le développement de la Sorcellerie et de ses textes. Il pourrait être un virage entre l’écriture des premiers textes de Gardner plus orientés vers le Mage et qui incluent beaucoup de Magie Cérémonielle et ceux destinés à des Covens mettant en avant la Grande Prêtresse qui semblent naître dans les années 60. Je n’ai aucune certitude sur ce qui peut avoir provoqué ce décalage mais il peut provenir du changement d’idéologie culturelle qui s’éloignait de la crainte et des restrictions causées par la seconde guerre mondiale, de l’émancipation des femmes et à la libération en générale qu’on a connue dans les années 60. Je parierais aussi que Doreen Valiente n’est pas entièrement étrangère à cela, surtout qu’elle avait, avec l’autorisation de Gardner, réécrit des parties du premier Livre des Ombres qu’il lui avait donné, afin d’y masquer les traces des écrits de Crowley.

 

Si ce document « Tous Sont Purifiés » avait trouvé sa place dans plus de Livres des Ombres, notre Sorcellerie aurait pu évoluer légèrement différemment. Il aurait peut être été plus courant de voir des Grand Prêtres consacrer le sel et l’eau et convoquer les Puissants « comme d’habitude ». Au lieu de cela, il y a parfois de longues discussions sur ce genre de questions. Mes propres discutions avec Charles Clark m’ont laissé l’impression que les choses étaient beaucoup plus égalitaires dans les années 50 et les Wica de cette époque se sentaient libres d’adapter les rituels pour qu’ils conviennent mieux aux membres du Coven, utilisant les rites comme cadre et comme « tremplin ». Un concept qu’on retrouve dans « Fifty Years of Wicca » le livre de Fred Lamond, où il cite Gardner disant « … alors que vous gagnez en expérience, écartez ces sortilèges qui ne marchent pas pour vous et remplacez-les par ceux que vous avez trouvés vous-mêmes.»

 

Si nous nous penchons maintenant sur les huit Sabbats qui sont inclus dans les « Weschcke Documents », nous voyons l’expression GP qui semble plus récente, utilisée systématiquement à la place de « Mage ». De plus, la similitude de tous les documents concernant les Sabbats, suggère clairement qu’ils ont tous été dactylographiés en même temps. Fred Lamond nous dit, dans son livre mentionné plus haut, que « nous (le Bricket Wood Coven) aimions nos fêtes, ainsi après le retour de Gerald sur l’Ile de Man au printemps 1958 nous avons décidé de célébrer les Sabbats mais aussi les solstices et les équinoxes lors de fêtes. » Si l’on songe à cela, il est fort probable que les Sabbats des « Weschcke Documents » ont été écrits peu après cette date.

 

Ce que j’aime lorsque je fais des recherches et que je compare ces textes originaux de Gerald Gardner c’est l’aperçu qu’ils peuvent nous donner des idées et de l’esprit du vieux Gerald lui-même. Je ne crois pas que l’on peut les considérer comme un tout et je pense qu’il est impératif de les voir comme des éléments d’un puzzle beaucoup plus grand qui inclut non seulement la vie et l’éducation de Gardner, mais aussi le climat politique et social de cette époque. Ces choses, ainsi que les fragments de rituels et les enseignements qu’on dit venir de la New Forest, ont influencé la façon dont Gerald, et d'autres, ont écrit ces rituels et ont développé nos pratiques. Ensuite, tout cela a contribué au développement du mouvement spirituel qu’est devenue la Sorcellerie aujourd'hui.

 

 

 

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